Le Laguiole : un couteau régional, un mythe.

Un couteau régional emblématique

Tout ou presque a déjà été dit sur ce couteau régional, à la ligne si singulière. Des choses exactes, vérifiées, mais également de nombreuses approximations. Au moins autant qu'existent de "vrais faux" Laguioles d'importation. Car le drame de cette marque, c'est que précisément elle n'en est pas une.
Et pourtant le Lag' comme disent les passionnés est associé à une marque séculaire, Calmels, installée dans la petite ville de Laguiole, dans l'Aveyron. Soyons honnêtes, le site de la fédération de la coutellerie prévient "Il est souvent affirmé de manière péremptoire que le couteau de Laguiole a été créé en 1829 par Pierre Jean Calmels. Cependant aucun document ne l’atteste." D'ailleurs d'autres couteaux à la ligne beaucoup plus droite étaient appelés à cette époque "laguiole", il en existe quelques rares exemplaires chez les collectionneurs, et quelques artisans ont réédité ce Laguiole ancestral, sous diverses appellations (Antique chez Honoré Durand par exemple).
Pourtant l'histoire est belle et la légende tenace. Et l'on se plaît à croire que c'est bien Calmels qui invente le premier couteau à cran forcé, dans un style hybride entre la navaja espagnole et le capuchadou local. En tous cas pour ce qui est de sa ligne.
Car les lames n'étaient pas nécessairement forgées à Laguiole. En effet l'expertise en la matière se situait plutôt dans le Puy de Dôme, à Thiers. Sauzede-Angely 55 et Besset-Jarrige ont notamment revendiqué le statut de sous-traitants Calmels dans leurs catalogues. La mention "hors concours" frappée sur le métal de ces couteaux était ainsi un prestige qu'aurait pu s'attribuer tout autant le fournisseur que l'assembleur.
Si ce n'est que Calmels (et ses héritiers) mettaient en avant, et sans doute à juste titre, leur savoir-faire à exécuter des finitions exemplaires : choix des essences de bois ou des plus belles pointes de corne, précision de l'assemblage et du polissage.
Voici une production des années 90 de chez Calmels, d'entrée de gamme, mouche soudée, manche en olivier, mitres laiton, lame en acier 440 dit "chirurgical".
Couteau régional
©Philippe ROSA
Le Laguiole a donc été travaillé par de très nombreux coutelliers, à Laguiole ou ailleurs, chacun essayant de respecter la ligne originelle ou au contraire d'en interpréter le design. De nombreuses essences de bois ont également été utilisées (locales ou exotiques), tout comme les différentes qualités de corne, bovine ou plus précieuse.

©Philippe ROSA

Ce couteau en ivoire est signé 74 Saint-Joanis "à la couronne" et date des années 60/70. Si l'on retrouve la lame yatagan, la mouche est ici simplifiée à l'extrême, ce qui est assez courant sur les modèles anciens.
La marque Saint-Joanis a été associée au fil du temps à Mondière, Therias, et Therias-Dumas.

Laguiole ancien, manche galathite ©Philippe ROSA

Comment reconnaître un Laguiole de qualité ?

Vrai ou faux Laguiole ? Une question qui taraude l'amateur en recherche d'authenticité. Au risque de décevoir le lecteur, il n'y a pas de vrai et de faux. Il y a au mieux des Laguioles réalisés en France, ce qui peut leur conférer une certaine légitimité, mais il y a aussi quelques détails visuels qui en disent long sur le soin accordé à la finition.
A cet égard, de nombreux passionnés regrettent amèrement l'importation de certaines productions asiatiques, certes bon marché, qui trompent l'acheteur tant sur la provenance que sur la qualité. Une mention "Laguiole garanti" sur la lame n'étant en rien l'assurance d'un produit fabriqué dans l'Aveyron par un artisan. Et surtout pas à 10 euros !
Par exemple la mouche. Une mouche, et probablement pas une abeille comme on peut l'entendre (voir plus bas).
Une mouche qu'il conviendra donc de choisir forgée, si le budget le permet, plutôt que soudée. La soudure étant moins artisanale et plus rapide, elle rend le couteau plus abordable. D'ailleurs, de nombreux fabricants français y ont recours pour s'assurer des volumes de ventes. Tout est affaire de choix !
Voici un beau Laguiole en corne blonde, mouche forgée avec le ressort, signé La Maison du Laguiole. Comme pour la mouche, le ressort est guilloché (sculpté) à la main, faisant de chaque couteau une pièce unique.

Laguiole mouche forgée ©Philippe ROSA

Mouche ou abeille ?

Une légende (qu'aucun écrit n'a jamais confirmé) prétend que Napoléon aurait autorisé les habitants de Laguiole à arborer l'abeille en récompense de leur comportement de bravoure. Du point de vue de Pierre Calmels (fils de Pierre-Jean), cette excroissance décorative est une abeille, un couteau de prestige ne pouvant être orné d'une vulgaire mouche.
En revanche pour Jacques Calmels (coutellier à Rodez), il s'agirait d'un taon. Ce couteau étant en effet issu du monde rural,  est sans doute un hommage aux vaches de Salers, plus souvent agacées par les mouches que par les abeilles. Un débat qui persiste encore aujourd'hui.

Les pièces de collection

Les collectionneurs auront un choix immense, à condition de bien vouloir débourser plusieurs centaines, voir plusieurs milliers d'euros. Dent de phacochère, minéral... tout matériau peut servir de prétexte à un artisan créatif qui saura faire perdurer cet art ancestral qu'est la coutellerie. Par exemple en 2007, Christian Valat (fondateur de la société Laguiole en Aubrac) fait l'acquisition de pièces détachées du Concorde. S'en suivra la réalisation d'une édition limitée numérotée pour amateurs avertis. 
Voici un magnifique Laguiole à manche en dent de mammouth et lame damas, créé par les frères Teymen, couteliers d'art à Thiers, ainsi que le Laguiole by Starck, entièrement en métal, imaginé fin des années 80.

Laguiole en dent de mammouth et lame damas ©Philippe ROSA

Laguiole by Starck ©Philippe ROSA